Parcourues d’un frisson fébrile et ardent à l’idée que la nourriture était abondante et facile à obtenir, les créatures noires se mouvaient avec aisance au milieu des ruines, à la recherche d’une proie humaine. Elles sentaient l’impuissance de leurs victimes et se montraient sans pitié ; hommes, femmes et enfants devenaient la proie de leurs dents tranchantes et de leurs pattes, impuissants devant la force malicieuse de la vermine. Même les communautés nouvellement formées offraient peu de protection aux survivants contre les attaques soudaines et irrésistibles, car les rats sentaient que le pouvoir avait changé de main, que l’équilibre des forces avait brusquement penché en leur faveur.
Elles avaient trouvé une énorme réserve de vivres près du nid de la Reine Mère, stock vivant et chaud dont elles s’étaient repues durant des jours et des nuits ; mais comme cette chair s’était putréfiée, la vermine était partie à la recherche de nourriture plus fraîche, de la viande encore tiède, juteuse à souhait, gorgée de sang qui ne s’était pas encore solidifié et, à l’intérieur des crânes, le savoureux organe que les méfaits de la mort n’avaient pas encore transformé en une masse visqueuse. Les mutants s’enhardissaient dans leur quête, leur ferveur gloutonne se faisant de plus en plus avide ; ils gardaient cependant une préférence marquée pour la nuit mais s’aventuraient aussi le jour. D’une habileté et d’une force supérieures à celles de leurs subordonnés, ils dirigeaient les rongeurs de moindre importance ; à leur tour, ils étaient commandés par d’autres : d’étranges créatures hideuses, tapies dans l’obscurité en contrebas, se glissaient au milieu des corps difformes, parmi les os et les cadavres putréfiés. Elles communiquaient en couinements aigus, protégées et nourries par les rats géants, mutants parmi les mutants, plus hideux les uns que les autres. Elles étaient plus fragiles que leur armée noire au poil luisant et pourtant elles les dominaient. Craints, tout en étant respectés, écoutés et admirés comme si leur malformation cachait un secret ancestral, ces monstres étaient parcourus d’un frisson nouveau, d’une vive impatience ; corps paresseux, en proie à une agitation constante, membres déformés, museaux fouinant parfois la terre insalubre dans laquelle ils vivaient, leur couinement atteignait une intensité frénétique avant qu’ils ne tombent dans une lente léthargie.
Bon nombre de ces créatures étaient dépourvues d’yeux ou même aveugles, et pourtant leur regard était tourné vers un coin éloigné de la salle intérieure, leur unique univers ; une profonde ferveur prenait naissance en elles, mûrissant longuement avant de se dissiper peu à peu, pour sombrer sans toutefois s’évanouir complètement.
Elles attendaient de recevoir les pensées de la Reine Mère, partageant son anxiété, sa douleur. Elles attendaient, se réjouissant à leur façon.